coup de coeur

Ici- Richard McGuire (défi Fauves d’or 2/5).

1986. « C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons acheté la maison. J’adore le style colonial. »

Ici, une maison, avec une fenêtre à guillotine sur la gauche et une cheminée sur la droite. Un canapé est placé sous la fenêtre. Les murs sont couleur vert amande pâle. Aucun élément ne vient les décorer. Tout en haut de la page est indiquée une date : 2014.

En 2014 toujours, le fauteuil a disparu, une bibliothèque a fait son apparition. Un carton posé au sol suppose un emménagement. La fenêtre et la cheminée sont toujours là.

En 1957, la fenêtre avait des rideaux, les murs étaient tapissés d’un rose un peu fané. Un tableau était accroché au dessus de la cheminée et un lit à barreaux se trouvait au milieu de la pièce.

En 1964, une femme joue du piano et on danse dans le salon. On y danse en 1932, en 2014, en 1993…

Vous ne comprenez rien à ce que je raconte? C’est parce que l’oeuvre de Richard McGuire met un certain temps avant d’être appréhendée… expliquer de quoi il retourne n’est pas simple. Je me suis même demandé si j’allais parvenir à écrire une chronique. Finalement il aurait été dommage de ne pas parler de cet ovni graphique alors je tente.

Donc, une seule et même pièce, et toujours une cheminée et une fenêtre. Le temps passe, avance, recule, bondit : nous sommes projetés dans un futur où les eaux ont recouvert la terre, ramenés aux fondations de la maison au début du XXe siècle, ramenés encore plus loin lorsqu’il n’y avait rien… longtemps, longtemps avant J.C, 500 000 ans avant, 80 000 000 ans avant (!). Le dinosaure côtoie, sur la même page, l’homme au téléphone qui, en 2005, organise la convalescence de son père malade… et puis de nouveau le futur : clefs, portefeuille, montre, sont devenus les pièces d’un musée virtuel. En 1932, l’homme est bien ennuyé d’avoir égaré son portefeuille, en 1959, il cherche désespérément ses clefs…

Les époques se mêlent, les vignettes s’enchevêtrent, se croisent, se répondent ou pas, le temps passe, les événements sont fugaces, il y a parfois des échos d’une époque à l’autre qu’il est plaisant de retrouver, des bribes d’histoires dont on ne connaîtra pas l’issue car au fond, c’est peut-être ce que McGuire cherche à nous dire, nous ne sommes pas grand chose au regard du temps qui file. Souvent les personnages sont vus de dos, de profil, à moitié… ils sont sans importance, une goutte d’eau. Le constat pourrait être sinistre, l’album ne l’est pourtant pas. On sourit lorsque sur une même page sont répertoriées les injures de 1949 à 2111 : en 1949, on disait « abruti », en 1960 « andouille », en 1977 « barjo »… En 2111 la montée des eaux nous a coupés le sifflet.

Je reconnais avoir eu du mal à entrer dans le livre, je ne comprenais pas bien ce que le chat de 1999 faisait dans le salon de 1957… et puis au bout de quelques pages est arrivé le déclic : le projet de Richard McGuire est tellement original, tellement surprenant et audacieux qu’il mérite une seconde lecture, voire une troisième, dont je ne me suis pas privée. Et ces lectures répétées ont été autant de découvertes de ces menus détails qui donnent à l’oeuvre une dimension supplémentaire, absolument vertigineuse, au sens propre.

Un roman graphique de très haut vol, qui a obtenu le Fauve d’or à Angoulême en 2016.

Deuxième participation à mon propre défi 🙂

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