coup de coeur

Après la guerre- Hervé Le Corre

« A la guerre tout est permis et je ne veux pas tout me permettre, je ne peux pas, vous comprenez? »

Bordeaux, dans les années 50, porte encore les stigmates de la guerre et de la collaboration à laquelle la capitale girondine a participé avec beaucoup de zèle. La gestapo s’y est montrée particulièrement efficace, les rafles de juifs étaient fréquentes et bien organisées. Après ÇA… il reste la puanteur et les collabo, passés entre les gouttes de l’épuration, collabo dont fait partie le commissaire Darlac, un flic pourri jusqu’à l’os, fier de sa toute puissance, se délectant de la terreur qu’il inspire aux autres, y compris à sa femme, qu’il maltraite avec sadisme. Pourtant, tous les comptes ne sont pas soldés. Jean Delbos, ancien déporté revenu de l’enfer – sa femme Olga a été gazée- sous une fausse identité, n’a qu’une obsession  : faire payer Darlac qu’il a connu, dont il s’est cru l’ami, et qui l’a dénoncé.

Le fils de Jean, Daniel, a été confié à la hâte à un couple d’amis avant l’arrestation de ses parents. Une autre guerre attend ce tout jeune homme d’à peine vingt ans : l’Algérie, pour laquelle il n’éprouve que curiosité. Il y va « pour voir », Daniel. Il ne se doute pas un instant de ce qui l’attend. Il ne pouvait pas savoir. Et ce qu’il va vivre le marquera à jamais. Ce goût de la violence, cette ivresse de tuer qu’il découvre, sont-ils provoqués par la guerre, ou les a-t-il toujours portés en lui ?

Je n’avais pas été secouée ainsi par une lecture depuis longtemps.

« Après la guerre » est un polar noir, – je ne suis pas sûre que le terme de polar lui convienne, je ne suis même pas sûre qu’on puisse le qualifier, c’est un livre tout à fait à part – d’un noir d’encre, qui plombe aussi bien la ville de Bordeaux que les âmes des personnages, dont l’ignominie – je pense à Darlac, le personnage de roman le plus abject que j’ai pu rencontrer- semble n’avoir aucune limite. L’ignominie des guerres est aussi révélée par un éclairage cru, aveuglant. Certaines scènes sont d’une dureté insoutenable, je préfère prévenir, d’un réalisme que seule permet une écriture incroyable comme celle d’Hervé Le Corre : écriture tantôt populaire et gouailleuse, tantôt sobre et d’une justesse sidérante, pleine d’émotion. Mazette quel style ! Quel auteur !

Cet énorme livre, bouleversant d’humanité, d’une complexité psychologique remarquable, m’a accompagnée pendant quelques jours, après que je l’ai extirpé de ma PAL où il faisait une longue sieste. Et il m’a prise aux tripes, dès les premières lignes. (Tellement dures que l’on peut être tenté de jeter le bouquin et de partir en courant) J’y pensais dans la journée, tout en faisant autre chose. J’avais à la fois peur et hâte de retrouver Daniel, Jean et l’horrible Darlac. C’est terrible mais qu’est-ce que c’est bon.

Je l’ai terminé hier soir, en apnée, et je crois qu’il va me hanter longtemps.

C’est tellement rare, un auteur de cette trempe.

« La route était vide. Les traces de pas recouvertes de neige filaient vers l’ouest en millions de creux bleuissant sous la lumière crue. Empreintes de fantômes. Le silence était total dans l’air immobile. J’entendais cogner sous mon crâne le battement de mon sang mais ce ne pouvait être qu’un écho lointain de la vie, parce que j’étais mort. Je l’ai su à cet instant. Jamais je ne reviendrais de cette terre figée, jamais je ne quitterais ce chemin balisé de cadavres. Jamais je ne retrouverais la vie. J’allais sur cette route parmi les morts abandonnés sur les bas-côtés, sans appui sur le sol poudreux et froid, ni consistance physique. J’étais seul désormais à me voir, à éprouver la réalité matérielle de mon spectre. Je me confondrais pour les autres dans la transparence de l’air. Leurs regards passeraient à travers moi sans deviner jamais ma réalité.
La nuit s’ouvrirait parfois autour de moi et seules me reconnaîtraient alors les âmes errantes que je croiserais par hasard, les yeux morts d’épouvante comme les miens, la gueule grande ouverte sur leur dernier souffle. »

NB : je pense que je peux proposer ce roman à Sharon pour son challenge, s’il court toujours…

17 réflexions au sujet de « Après la guerre- Hervé Le Corre »

  1. J’en ai un dans ma PAL, je ne sais plus lequel, je vais encore remuer mes piles … Je pense que tous ses livres doivent être de la même trempe. A ne pas lire quand on a le moral au plus bas !

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