coup de coeur

Philippe Jaenada- Au printemps des monstres

« Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres »

Mai 1964. Le cadavre du petit Luc Taron, onze ans, est retrouvé dans un bois. L’enfant a été assassiné. On s’émeut, on s’indigne, on cherche frénétiquement le coupable de ce crime odieux lorsqu’un inconnu qui se surnomme « L’Etrangleur » affirme être l’assassin. Il s’amuse beaucoup pendant tout un mois, il nargue, arrose de messages ignobles la presse, la police et même la famille éplorée. Il est finalement arrêté, jugé et condamné à 41 ans de prison, malgré ses soudaines protestations d’innocence.

Il s’appelait Lucien Léger et il est devenu le plus ancien détenu de France. 41 ans de prison, c’est énorme.

Tout est énorme dans cette affaire. Et Philippe Jaenada en a fait un énorme livre, énorme car il fait 905 pages (de quoi occuper la totalité de mes vacances de Noël), énorme car Jaenada ne fait jamais dans la demi-mesure, dans le tiède, le mou, lorsqu’il s’intéresse à une affaire judiciaire(J’ai lu « La petite Femelle » il y a un moment, j’en suis sortie épuisée mais convaincue que Jaenada est un génie fou).

Il raconte avec force détails l’affaire elle-même et quand je dis force détails, c’est qu’on est carrément au delà du minutieux (d’aucuns diraient maniaque). Puis, il déroule avec la même précision hallucinante la contre-enquête qu’il a menée pendant trois ans car non, il n’est pas possible que Léger soit coupable du crime dont il s’est accusé dans un premier temps.

Personne ne l’a cru lorsqu’il a changé radicalement de version. Il faut dire que lorsque Lucien Léger se rétracte, sa défense est en carton. Il affirme protéger les vrais assassins dont il ne peut pas révéler le nom, il a promis, Lucien est un homme de parole. Grotesque, c’est ce que tout le monde pense. Même ses avocats.( Son premier avocat est le célèbre Maurice Garçon, un ténor du barreau, pourtant on ne peut pas être plus mal défendu, une vraie catastrophe… )

Jaenada va alors fouiller, fouiller encore et encore, il dénoue des fils, recoupe, renoue, défait, recoud, cherche tant et plus avec une obstination telle que le lecteur a le choix : abandonner à la page 50 et partir en courant, ou décider de suivre Jaenada, envers et contre-tout, jusqu’à la fin, que j’ai trouvée sublime. Promis, si vous suivez, vous serez récompensé.

Vous avez deviné, j’ai suivi, tout, absolument tout, sans rien lâcher, j’ai lu, relu des passages un peu obscurs (on ne peut nier des longueurs et quelques ombres, normal, le livre fait 905 pages). Chaque protagoniste est gratté, décortiqué au scalpel et ce qui en ressort n’est pas beau à voir, cette affaire se révèle peuplée de monstres.

J’ai absolument adoré, pesté, j’ai ri, oui j’ai ri car comme toujours, les interruptions momentanées de l’enquête (avant qu’elle ne reparte de plus belle) au profit de Jaenada  » je vous raconte ma vie », sont à la fois hilarantes et très touchantes. J’adore cet homme, j’adore cet auteur, ce forçat de la contre-enquête, cet écrivain énoooorme et formidable, cet être humain à la si belle âme.

« Au printemps des monstres » est un très très grand roman, avec lequel j’ai passionnément terminé 2022 « l’année des pavés ».

Comme à chaque gros coup de coeur, j’ai eu du mal à ranger le livre et une semaine après l’avoir fini, il est encore là, posé sur ma table basse, je passe devant régulièrement et je le regarde de temps en temps avec tendresse. Je vous ai dit l’autre jour que je parlais à mes livres et qu’ils étaient mes amis.

« C’est la Meuse qui passe ici. Solange devait, de temps en temps, la regarder. De toute sa vie, elle n’a jamais vu la mer, que de l’eau douce, des rivières, des fleuves, le Rhône, la Saône, la Seine, mais c’est déjà ça. Les fleuves, ce n’est pas comme les forêts, ni même les villes, ça bouge, ça avance, ça traverse l’existence, ça vient de régions vivantes et ça va vers d’autres, ça passe, comme ce qu’on vit et ce qu’on oublie, ça emporte. »

Je vous invite à lire une belle chronique tout aussi enthousiaste chez Sandrine.

17 réflexions au sujet de « Philippe Jaenada- Au printemps des monstres »

  1. Ah je me reconnais bien dans ton enthousiasme. Ses premières parties semblent toujours claires et on se demande ce qu’il va ensuite raconter. Et la suite c’est toujours le plus formidable, la contre enquête, le décorticage minutieux des évidences, la mise à jour des facilités, des bassesses des uns et des autres. Quel plaisir !
    Par contre, mon édition à moi compte 748 pages : quel est ce mystère ???

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  2. Moi qui suis fan, j’avoue que là, il a presque réussi à me perdre dans ses circonvolutions et ses décorticages.. mais j’ai apprécié ses apartés, l’ambiance « modianesque », et tout le petit monde qu’il refait vivre autour de l’affaire..

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    1. Tout est dans le «  presque »😏. A propos depuis quelque semaines quand j’essaye de poster un commentaire chez toi, on me renvoie un message d’erreur … donc je te souhaite une belle année et te conseille le recueil de nouvelles d’Adeline Dieudonné «  kerozen » puisque tu as aimé son roman !

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      1. Oui, tu n’es pas la seule à me le signaler : ceux que j’ai invités à essayer en passant par un autre navigateur ont pu pour la plupart résoudre le problème… mais je crois que ton commentaire sur le Dieudonné est bine passé (c’est celui-là ? : « J’avais posté un commentaire qui n’est visiblement pas passé … si tu as aimé ce livre tu devrais les nouvelles de A.D, ( kerozen) décapantes !!! »)

        Belle année à toi aussi !

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  3. De tous ceux que j’ai lu de l’auteur, c’est celui qui m’a le moins plu. J’ai eu l’impression que l’auteur avait du mal avec le coupable et se perdait un peu dans ses développements.

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  4. je viens justement lire le billet de Sandrine, et je lui disais que je n’ai encore pas lu l’auteur, bien qu’ayant noté nombre de ses ouvrages. Mais là, 900 pages, c’est un peu trop pour moi en ce moment, qui pique du nez vers 21.30…quand je me déciderai à lire un de ces bouquins, ça sera un autre…mais j’hésite encore entre roman et contre-enquête…

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