coup de coeur

Histoires de la nuit – Laurent Mauvignier

« Ce moment où mère et fille se chuchotent de tendres bêtises,

je t’appelle si j’ai un problème.

Mais t’auras pas de problème.

Oui mais s’il y a un dragon?

Les dragons tu leur casses les dents. »

A La Bassée, petit bourg retiré constitué de trois maisons, vivent Patrice Bergogne, un agriculteur, son épouse Marion et leur petite fille, Ida. Dans la maison d’à côté habite Christine. Artiste peintre, elle très attachée à Patrice et surtout à Ida, qui la considère comme sa « tatie ». Les relations de Christine avec Marion sont en revanche plus distantes, teintées de méfiance. Christine se demande bien -et nous aussi- ce qu’une femme séduisante, citadine, comme Marion -elle aime danser, les soirées copines, les clopes- peut trouver à Patrice, paysan sans finesse, éperdu d’amour pour Marion et si peu payé de retour. Quand le roman démarre, le couple va plutôt mal et comme ils se parlent très peu, on ne comprend pas la raison de cette distance entre les époux Bergogne. Par ailleurs, le non-dit est un élément majeur du livre, on ne se parle pas ou on parle faux, on se frôle, on s’évite, on se cherche, on se regarde beaucoup, mais on est toujours à côté de l’autre, vraiment à côté. Au risque de le voir s’échapper définitivement.

Je savais que Laurent Mauvignier était un grand écrivain, capable de traiter les sujets plus difficiles, sans tabou, dans une langue que je trouve pour ma part magnifique mais qui n’est pas toujours aisée à la lecture (la phrase longue, mes amis…) J’ignorais qu’il était aussi incroyablement doué pour le roman noir. « Histoires de la nuit », authentique thriller au suspense à tout casser, m’a mis dans tous mes états.

Le soir des quarante ans de Marion, une fête d’anniversaire est prévue, à laquelle s’invitent ceux qu’on n’attendaient pas. La nuit sera longue et tragique…

Bien sûr, on parle de Mauvignier. On devine très vite qu' »Histoires de la nuit » dépassera de très loin le cadre du roman frisson. Il va même le faire exploser, le cadre. Une explosion qui se prépare, minutieusement… l’angoisse, la tension grimpent peu à peu… jusqu’à l’insoutenable (j’étais limite en PLS, pour plagier une collègue prof d’EPS)

Avec génie, l’auteur aborde de nombreux thèmes comme les violences faites aux femmes, la misère sexuelle, la solitude des gens de peu, ceux auxquels on ne prête jamais attention et qui pourtant vivent si près de nous… Actes et pensées de chaque personnage – merveilleuse petite Ida, perdue au milieu de ces adultes en tension dont elle perçoit sans vraiment les comprendre la haine, la rancoeur sourde sous des apparences de jovialité- sont détaillés, décortiqués avec une précision diabolique, tout au long de ces magnifiques et redoutables phrases longues (très longues..!), qui s’étalent, se déploient sur 640 pages (!)

J’ai mis un certain temps à finir ce roman, malgré la passion qu’il a suscitée chez moi. Le soir, je suis fatiguée et cette merveille mérite toute l’attention du lecteur. Ce qui était super malgré tout, c’était de se retrouver, même pour seulement dix minutes (mini pause, court temps de transport, attente à droite et à gauche et jubilation secrète de savoir que Mauvignier était avec moi dans tous ces moments là: ceux qui aiment les livres avec passion comprendront facilement cette excitation les autres lisez et vous verrez ) dans la maison avec Patrice, Marion, Ida et les inquiétants…

Et j’adore l’idée qu’arrivée à la moitié du livre, je n’avais toujours aucune idée du pourquoi du comment…

Quand l’explication arrive enfin, c’est de la dynamite.

Je ne comprends pas qu’un roman d’une telle envergure ne figure pas dans la liste des Goucourables. Je crie au scandale, ça devient n’importe quoi ce prix.

Pour moi, c’est un évident et absolu coup de coeur.

« Ida comprend comment les choses se logent comme des bêtes dans les planches qui pourrissent dans la grange, des insectes qui grignotent le bois sans qu’on s’en aperçoive. »

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