coup de coeur

Fille – Camille Laurens

« Parfois je trouve un homme qui comprend qu’être à quatre pattes dans un lit ne signifie pas qu’on l’est dans la vie. Mais c’est rare. »

Laurence Barraqué vient au monde à une époque où être une fille n’est pas un cadeau. On l’a un peu oublié, mais dans les années 50-60, une femme était totalement dépendante de son mari et n’avait même pas le droit de signer un chèque…

Dans la famille de Laurence (père médecin, mère sans profession) qui plus est, on espérait vivement un garçon, car les parents de Laurence ont déjà une fille, c’est bien assez. Maintenant qu’elle est là… on l’aimera quand même, Laurence, en répétant comme pour se convaincre qu' »une fille c’est bien aussi »…Pourtant lorsqu’on demandera au père s’il a des enfants, il répondra : » non, j’ai deux filles ». Dont acte.

Laurence grandit, devient une femme, une épouse, une mère. Son existence sera, comme toutes les existences, faite de joies et de tourments, de drames aussi. Elle en bave pas mal, Laurence. Lorsqu’elle aura à son tour une fille, la question de la transmission, de l’éducation d’une fille par une autre fille – pas si simple, on le verra- se posera à elle avec acuité avant qu’elle n’en arrive à cette conclusion lumineuse :

« c’est merveilleux une fille ».

Lumineuse, cette conclusion, comme tout le livre, qui m’a touchée, séduite, emballée, maintenue éveillée jusqu’à une heure avancée de la nuit. Ce roman qui n’en est pas un- on n’a aucun mal à deviner Camille Laurens derrière le personnage de Laurence- aurait pu m’agacer (je n’aime pas les autofictions, les auteurs autocentrés, je le dis et le redis, racontez des histoires bon sang !) m’horripiler même, et c’est tout le contraire qui s’est produit. Quelle écriture ! Et avec quelle impertinence et drôlerie, humour, Camille Laurens joue avec les mots, à commencer par le patronyme de son personnage… On n’est franchement pas à la fête quand on s’appelle Laurence – L’eau rance?- Barraqué. Laurence aurait pu s’appeler Marylin, mais son père avait peur qu’elle soit moche, ça l’aurait desservie… on ne s’appelle pas Marylin si l’on n’a pas de « quoi remplir les mains d’un homme ». Il est abominable, le père, macho, suffisant et d’une grossièreté à toute épreuve. C’est un personnage de roman (?) totalement inoubliable (cf : le passage édifiant où il explique les règles à ses filles)

J’ai vraiment tout aimé dans ce « roman » qui interroge subtilement, mais aussi par moments avec éclat – on ne sourit plus du tout, on est indigné, on a les larmes aux yeux- sur la question d’être une femme, les relations aux hommes, hier et aujourd’hui.

Je voudrais dire un grand merci à Camille Laurens pour cet hommage magnifique qu’elle rend aux filles.

On est merveilleuses, les filles !

« En Inde, « c’est une fille » est aujourd’hui une phrase interdite. Dire « c’est une fille » avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d’amende: on n’a plus le droit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l’enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent (…)Si tu étais née en Inde ou en Chine, tu serais peut-être morte. A Rouen, tout va bien. On t’aime quand même »

10 réflexions au sujet de « Fille – Camille Laurens »

  1. Je ne suis pas attirée du tout par cette auteure, qui fait trop dans l’auto-fiction. En plus, j’ai connu cette période là et cette ambiance là et je n’ai pas envie d’y replonger. J’ai eu ma dose … A l’écouter en interview, je trouve qu’elle a mis du temps à réaliser à quel point les femmes étaient infériorisées …

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  2. bon tu es sacrément enthousiaste ma chère Béa!! je le note, parce qu’ayant une petite fille, forcément, la question de ce que je lui transmets, les outils aussi que je lui donne pour s’en sortir dans la vie, me travaille beaucoup…je lirai donc Fille, merci!

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